LES SECRETS DE L'ALAMBIC

 

« Le mot whisky signifie eau et on l’applique à de l’eau-de-vie distillée. Celui qu’on boit dans le Nord est tiré de l’orge. Je n’en ai goûté qu’une fois, par curiosité, à l’auberge d’Inverary quand je pensai que c’était meilleur que toutes les eaux-de-vie anglaises faites avec du malt. C’était fort, mais point âcre, sans rien de médicamenteux dans le goût ou l’odeur. Je n’ai pas eu l’occasion de demander comment on le faisait, et je n’ai nulle envie de perfectionner l’art de rendre un poison agréable. »

Samuel Johnson

Voyage dans les îles occidentales d’Écosse, 1775

Gravure, 1887.

L’univers du whisky écossais est en constante mouvance. Des firmes disparaissent, d’autres se créent. Chacune d’elles a ses propres caractéristiques. Il ne s’agit pas véritablement de secrets de fabrication, mais d’un art séculaire, qui s’est transmis de génération en génération. Quelle que soit leur taille, toutes les distilleries fonctionnent selon un processus commun et à partir d’ingrédients immuables.

 

« De l’eau, du feu et du temps », telles sont traditionnellement les exigences du whisky écossais. De fait, c’est l’eau qui, en premier lieu, décide de l’implantation géographique de la fabrique. Rien d’étonnant donc à ce que la plupart des distilleries de malt soient situées dans un contexte montagneux foisonnant d’eaux vives et à ce qu’une région comme celle de la rivière Spey présente une telle concentration de distilleries. L’eau doit être abondante ; plus que le maltage et le brassage, le refroidissement des serpentins de distillation en requiert une grande quantité. Sans oublier que cet élément intervient aussi pour amener l’alcool brut à la réduction souhaitée par le distillateur, avant son vieillissement en fûts.

 

L’eau doit être très pure, extrêmement douce, très peu calcaire et la plus froide possible. Plus encore, pour certains, il est souhaitable que ce soit une eau de source qui, au sortir d’un terrain graniteux,ait traversé de la tourbe et se soit, au passage, chargée de ses qualités, d’acidité, de goût et de couleur. Cette exigence ne fait, toutefois, pas l’unanimité, car il n’est pas prouvé que l’utilisation d’eau « tourbée » rehausse la qualité du whisky.

 

Si la tourbe n’est pas indispensable au niveau de l’eau, elle joue un rôle au stade du maltage. Aussi les distilleries de malt sont-elles souvent établies non loin de tourbières, ce qui facillite l’approvisionnement. Suivant la composition, la densité et la couleur de la tourbe, la combustion est plus ou moins lente et la fumée plus ou moins épaisse. Et ces facteurs influent sur la « personnalité » du whisky…

 

Cependant, à la différence d’autrefois, toutes les distilleries ne pratiquent pas aujourd’hui le maltage. Pour des commodités de fonctionnement, nombre de fabriques achètent l’orge déjà maltée, prête à être utilisée. Leur choix se porte sur le malt dont le goût convient le mieux au style de chaque whisky élaboré. Car c’est là l’ingrédient essentiel. Il ne s’agit pas de n’importe quelle orge, en fait! La céréale employée à la fabrication doit être de première qualité, extrêmement saine, bien sèche, riche en amidon et en protéines. Elle est achetée une fois l’an, au moment de sa pleine maturité, c’est-à-dire en septembre ou octobre, et est conservée dans des locaux appropriés. Aujourd’hui, l’Écosse ne produit plus assez d’orge pour approvisionner ses distilleries. On a donc recours à des orges anglaises, et, en majeure partie, à des orges étrangères en provenance du Canada, d’Australie, d’Afrique du Sud et même d’Inde.

 

Sans malt, pas de whisky

 

L’amidon, que renferme l’orge, se transforme en maltose, sous l’effet des enzymes, qui se créent lorsque le grain commence à germer. Cette germination est provoquée. Longtemps et jusque récemment, le procédé était traditionnel. L’orge était placée, pendant deux à trois jours, dans une cuve contenant de l’eau. Puis, au terme de ce temps de trempage, elle était étalée, en couches de 30 à 60 centimètres d’épaisseur, sur une aire de maltage faite de dalles de pierre ou de ciment, dans une atmosphère chaude et humide. Des ouvriers la retournaient régulièrement, avec une pelle en bois. Opération des plus délicates, car il fallait éviter l'enchevêtrement des minuscules radicules, sous peine d'être confronté à un écheveau indémêlable. D'autre part, il était nécessaire de contrôler sans cesse la température de la couche d’orge, afin d’éviter une accumulation de chaleur. ; de fait, il convient d’arrêter la germination à temps, sinon le germe entame la réserve sucrée du grain.

 

Dès que la germination commençait, soit six à sept jours plus tard, le processus était donc interrompu. Á cette fin, le « malt vert » obtenu était séché dans une touraille : il y était déposé sur un sol métallique percé de trous et chauffé par un foyer, alimenté avec de la tourbe. Compte tenu du faible pouvoir calorifique de ce combustible, le séchage durait généralement quelque cinquante heures et était rigoureusement surveillé, les enzymes devant être maintenues actives pour le brassage à venir. Au sortir de la touraille, le taux d’humidité du malt était tombé à 3%. De cette méthode de maltage « à l’ancienne », il ne reste plus que la mémoire, à travers les beaux toits en pagode que certaines distilleries conservent en souvenir et qui permettaient à l’épaisse et âcre fumée de tourbe d’imprégnerlentement le malt.

 

Les machines modernes prévalent désormais. Installées dans un local à température contrôlée, elles ont effacé les problèmes que rencontraient autrefois les malteurs, dépendants des variations de température extérieure. Qu’il s’agisse de l’appareil à vis, mis au point par l’ingénieur français Charles Saladin et qui est constitué de caissons en béton, traversés par une vis sans fin, ou de l’appareil à tambour, composé d’un cylindre, aéré par un tuyau central et qui tourne lentement, le grain est retourné automatiquement.

 

Quant à l’emploi de la tourbe, qui, avec le temps de séchage, contribuait notablement à la saveur du whisky, il est moins généralisé que naguère. Certes, les îles de l’ouest lui restent fidèles et, de ce fait, produisent des whiskies puissants et fumés. Mais dans les autres régions productrices, du charbon ou du coke est souvent associé à la tourbe, voire utilisé seul, ce qui donne des whiskies plus légers.

 

De brassage en fermentation

 

Une fois séché, le malt est entreposé, dans l’attente de son traitement. Celui-ci consiste à le débarrasser des germes et à le broyer dans un concasseur, de façon à obtenir une farine grossière (braiougrist)Laquelle farine est ensuite acheminée vers une large cuve, en cuivre ou en fonte, pour y être mélangée à de l’eau chaude, dont la température est comprise entre 66 °C environ et 93,3 °C. Un brassage constant est opéré par des bras métalliques en constant mouvement. L’eau est renouvelée au bout d’une heure. Les enzymes, engourdies par le séchage, retrouvent leur activité et l’amidon soluble devient maltose. Le résultat du brassage est un liquide sucré et épais : le moût (wort). Quant aux résidus du maltlaissés par l’opération, c’est la « drêche » (draff), très appréciée pour l’alimentation du bétail, en raison de sa richesse en protéines, corps gras et cellulose.

 

Refroidi à 20 - 21 °C, le moût est pompé dans les cuves de fermentation (wash backs). On procède à un apport de levure ; celle-ci attaque les sucres, puis les convertit en alcool et autres composés complexes. Il se produit un dégagement de gaz carbonique. La fermentation dure de trente-six à quarante-huit heures. La mousse est importante et des lames rotatives interviennent pour éviter qu’elle ne déborde. Á ce stade, le liquide comporte environ 90 % d’eau, 7 à 8 % d’alcool et une petite quantité de matières non fermentescibles.

 

Hautes de six à sept mètres, les cuves de fermentation de naguère étaient en bois, de préférence en mélèze d’Écosse ou en pin d’Orégon. Elles sont aujourd’hui faites d’acier inoxydable et pourvues, ou non, d’un revêtement de bois. Leur taille est variable, mais la capacité la plus fréquenteatteint 10 000 gallons, soit quelque 45 000 litres.

L’alchimie de la double distillation

Le moût fermenté (wash) est prêt à être distillé. Il est conduit vers un grand alambic de cuivre (wash still), d’une capacité de quinze mille à vingt-cinq mille litres, au fond duquel tournent sans arrêt quatre bras rotatifs. Chauffé à feu nu et porté à une température de 86 °C, cet alambic a pour rôle de séparer l’alcool de l’eau, de la levure et du résidu. L’alcool s’évapore dans le col-de-cygne de l’alambic, puis se condense en liquide dans un serpentin (worm),tube de cuivre enroulé sur lui-même et enveloppé d’une chemise dans laquelle circule de l’eau froide. Ainsi recueille-t-on un premier distillat, le flegme (low wines), qui représente en moyenne le cinquième de la quantité de washet contient environ 20% d’alcool.Il s’agit de recueillir le maximum d’alcool. L’appréciation revient au chef distillateur (stillman), qui évalue le degré alcoolique et décide d’arrêter le chauffage, lorsque le washa livré tout son alcool.

 

Intervient alors la seconde distillation, au cours de laquelle le chef distillateur peut donner toute la mesure de son talent. C’est, en effet, à ce moment-là, qu’il est appelé à séparer les bons alcools des mauvais, à éliminer les impuretés et les composants secondaires indésirables. Également en cuivre martelé, mais dépourvu de bras rotatifs, l’alambic à alcool (spirit still ou low wines still)est plus petit que le précédent. Il est chauffé à une température de 70 à 80 °C. Le chauffage est souvent direct. Mais il convient de noter qu'est parfois utilisé un système de chauffe intégré dans le corps de l'alambic. Comme lors de la première distillation, il se produit une vaporisation et une condensation. La tête de distillation (foreshots), trop riche en estherset aldéhydes, est détournée, tout comme la queue de distillation (feints), faite des constituants lourds — ces deux « rejets » seront associés à un autre flegme et recyclés au cours d'une futuredistillation dans l’alambic à alcool. Seul le cœur du distillat est retenu et recueilli dans le récipient à alcool. Il contient entre 60 et 75 % d’alcool. Ce liquide incolore, très fort et de goût peu agréable, a déjà nom de whisky. Il va être « adouci » avec l’eau de source, de sorte qu’il ne titre plus de 63 % de volume d’alcool avant d’être mis en fûts.

 

Ainsi que nous venons de le voir, le caractère du whisky est étroitement lié au savoir-faire et à la dextérité du chef distillateur. Mais il l’est aussi à la structure des alambics. La forme et la longueur du col, la taille de l’alambic, l’angle du tube qui relie la tête de l’appareil de distillation à l’unité de condensation, …autant d’éléments qui influent sur le raffinement de la distillation et donc sur la qualité du whisky. Sans oublier l’iinfluence qu’exerce l’intensité du chauffage de l'alambic. Celui-ci était autrefois assuré par de la tourbe ou du charbon. Aujourd’hui, il utilise le gaz ou le fuel.

Dessin, XIXe siècle.

Le point d’orgue : la maturation

 

D’après Russell Sharp, dans son étude Scots on Scotch, la rudesse du goût du whisky était autrefois masquée par l’ajout de fruits (mûres, groseilles, etc.) au cours de la distillation. Si l’influence du fût sur l’alcool fut probablement perçue dès le XVIIe siècle, ce n’est qu’à partir du XIXe que des recherches sur le vieillissement de l’alcool furent entreprises, dont découla la méthode de maturation que nous connaissons aujourd’hui. Cette maturation confère au whisky à la fois sa couleur, son bouquet, son moelleux et sa saveur définitive. Chaque fût, marqué et répertorié, est ouvert seulement au moment de l’embouteillage.

 

Si chaque wisky parvient à maturité à un âge différent, on s’accorde à considérer qu’en général, un whisky atteint sa saveur optimale entre dix et vingt ans. Tout dépend du caractère de l’alcool. Certains malts gagnent à mûrir en fûts jusqu’à dix ans, d’autres jusqu’à quinze, d’autres encore, plus tourbés et plus lourds, tels ceux d’Islay, peuvent vieillir jusqu’à vingt ans, voire au-delà.

 

Le vieillissement, qui peut atteindre jusqu’à cinquante ans, se fait en fûts de bois. Au cours de ce « repos », une partie de l’alcool, volatile, s’évapore à travers le bois (*) ; le wisky perd de sa dureté et sa force s’atténue — une perte que l’on évalue à une dizaine de degrés en dix ans. Dans le même temps, les tanins du bois pénètrent le wisky et lui donnent sa note finale ; son goût s’adoucit et s’affine, sa personnalité s’affirme.

 

Bien évidemment, la qualité du fût intervient en faveur de la qualité du vieillissement. La tradition veut que les distillateurs écossais emploient des fûts de chêne ayant contenu du xérès. Sans doute cette tradition vient-elle de ce qu’autrefois il était moins onéreux d’avoir recours à ces fûts usagés qu’à des fûts neufs, dans la mesure où le xérès était importé en Grande-Bretagne en fûts. En outre, on s’aperçut que le bois, imprégné par le vin espagnol, transmettait au wisky rondeur et douceur, tout en participant à sa couleur ambrée— plus pâle dans des fûts de Fino et d’Amontillado, plus sombre dans des fûts d’Oloroso.

 

Mais depuis quelques décennies, le xérès est commercialisé à l’étranger en bouteilles et, de ce fait, les fûts sont devenus fort coûteux. Pour remédier à ce problème, les distillateurs se sont retournés vers les fûts de bourbon, de chêne ou de châtaignier. Les Américains  n’utilisant pas deux fois le même fût, leur prix est abordable. Cependant, l’influence des fûts de bourbon sur le whisky est moins sensible que dans le cas du xérès. Aussi, chaque distillerie conserve ses meilleurs fûts pour la maturation du whisky qu’elle commercialise en qualité de single malt.

 

Quoi qu’il en soit, il convient de noter qu’une maturation en fûts de bourbon produit généralement des malts secs, alors qu’une maturation en fûts de sherry donne des malts plus onctueux. Dans le second cas, la nature du sherry apporte ses nuances. Ainsi les malts vieillis en fûts de sherry Oloroso présentent-ils une note aigre-douce et ceux vieillis en fûts de Fino et d’Amontillado sont-ils plus doux et plus crémeux.

 

Autre facteur important pour la maturation : la taille du fût. Plus le fût est petit, plus la maturation est rapide. Enfin, le lieu de conservation des fûts n’est pas sans importance. Naguère, les fûts étaient abrités dans des bâtiments en pierre, au sol de terre battue. Depuis les années 1970, le stockage se fait le plus souvent dans des entrepôts bétonnés. Une exigence toutefois : le cellier doit être, de préférence, humide et froid. En effet, une atmosphère chaude et sèche favorise l’évaporation de l’eau et freine la perte de force du whisky. C’est ce qui explique que le climat écossais, tantôt dur et rude, tantôt chaud et doux, mais presque toujours humide, convient parfaitement à la maturation de cet alcool.

Du fût à la bouteille

 

Presque tout le whisky est embouteillé en Écosse, conformément à la législation. Il est préalablement adouci, par un ajout d’eau, de façon à ne plus titrer que 40 à 43°. Une exception, cependant : le Scotch Whisky est expédié en Australie sous sa forme brute.

 

Enfin, à l’instar de n’importe quel autre alcool, Le whisky embouteillé ne vieillit plus et reste stable.


Un choix attentif

 

Il est important, lors de l’achat d’une bouteille de whisky écossais, de bien lire l’étiquette. Sur celle-ci, comme le veut la législation, doivent figurer les mentions Scotch whisky et bottled in Scotland («mis en bouteilles en Écosse»). Ensuite, si le choix se porte sur un pure malt (l’indication du type de whisky — blendes ou pure malt — doit apparaître également), il convient de prêter intérêt à la précision que l’étiquette doit indiquer :

  • le whisky dit single malt (parfois le qualificatif unblended lui est adjoint) provient obligatoirement d’une seule distillerie. Il porte souvent le nom de la distillerie qui le fabrique. Il peut être le produit d’un mariage de plusieurs fûts de différentes années, soigneusement sélectionnés ; l’âge indiqué est alors celui du whisky le plus jeune ;
  • le whisky dit vatted malt est le résultat de l’assemblage de plusieurs whiskies de malt, provenant de différentes distilleries et assemblés en cuve. Les noms des distilleries ne sont pas indiqués. L’expression vatted malt n’est pas toujours employée ; elle se cache alors derrière la seule mention pure malt.

Il convient enfin de noter que les distillateurs ne sont pas tenus par la loi de faire figurer l’âge du whisky sur l’étiquette. Les plus réputés d’entre eux le font néanmoins, car l’âge a, bien évidemment, son importance. Si l’alcool doit être vieux d’au moins trois ans au moment de sa mise en bouteilles, c’est entre dix et vingt ans qu’il acquiert sa véritable « personnalité » et qu’il exprime toute sa richesse.


Le collage des étiquettes sur le whisky Old Vatted Glenlivet (OVG), produit par l'Andrew Usher Company. Illustration extraite d'un ouvrage  1890.


Un mot sur le blended whisky

 

Une centaine de distilleries écossaises fabriquent, à l’heure actuelle, plus de trois mille marques de blended whiskies. Mais qu’entend-on par blended whisky ? Au regard de la loi en vigueur, c’est un mélangede whisky de malt et d’alcool de grain (en quantités à peu près égales), distillés dans des patent stills. Les dénominations blended whisky, blended whiskey, blended Scotch whisky et blended Irish whisky sont donc réservées à des assemblages d’un certain nombre de distillats ; chacun d’eux, considéré isolément, peut être un whisky, unwhiskey, un Scotch whisky ou un Irish whiskey. Dans le cas d’un blended whisky, d’un blended whiskey, d’un blended Scotch whisky ou d’un blended Irish whiskey, le temps de maturation minimal obligatoire, de trois années, est applicable aux spiritueux de l’assemblage dont la distillation est la plus récente.

Nous nous sommes attardés sur la fabrication du whisky de malt, puisque c’est là le sujet de notre guide. Le processus consacré auwhisky de grain (grain whisky) est bien différent. Loin du caractère traditionnel des distilleries de pure malt, dont l’implantation géographique est liée aux exigences du produit, il s’agit là d’énormes entreprises, produisant jusqu’à plus de deux cents millions de litres d’alcool pur par an et qui se sont établies, de préférence, à proximité des grandes villes.

Un mélange de céréales (maïs, froment, notamment), non maltées, est préalablement cuit, par vapeur sous pression, durant quelques trois heures et demie. Á la bouillie obtenue est ensuite ajoutée de l’orge maltée, suivant une proportion de 10 à 20% des céréales précédentes. Le brassage et la fermentation ne diffèrent pas de ce qui se passe dans le cas du whisky de malt. En revanche, la distillation se fait ensuite dans un alambic en continu, chauffé à la vapeur. Une fois rectifié, l’alcool manque de caractère et de goût; d’où son association avec du whisky de malt. La qualité du mélange dépend, certes, de la qualité et du degré de vieillissement du whisky de grain (il lui faut, en fait, peu de temps pour arriver à maturité), mais, plus encore, de la quantité, de la qualité et de l’âge des whiskies de malt employés. C’est ce qui explique qu’il existe, à l’heure actuelle, deux types de « mélanges » : le simple blended Scotch whisky, d’une part, et le blended Scotch whisky de luxe, de qualité supérieure, car une proportion plus importante de whiskies de malt entre dans sa composition. Au secret de la réussite du produit fini : le savoir-faire du maître assembleur, seul capable de déceler les alliances heureuses, de marier arômes et saveurs pour créer une parfaite harmonie.

Le whiskey en Irlande, gravure, 1844.


Savez-vous que… ?

 

  • Á la fin du XVIIIe siècle, des distillateurs des Lowlands tels que Robert et John Haig, à Leith, ou James et John Stein, à Clackmannan, employaient des alambics d’une capacité de plus d’un millier de gallons. Pour échapper à la taxe sur le malt, ils confectionnaient leur alcool avec de l’avoine, du blé ou des racines, auxquelles ils ajoutaient une petite quantité d’orge maltée. Cet alcool, qui était très populaire dans les Basses-Terres, était exporté en Angleterre, où il était transformé en gin. Ce qui explique, en grande partie, la farouche opposition des distillateurs de gin anglais à l’égard des distillateurs écossais.
  • Aujourd’hui, un appareil de Coffey produit 1 500 gallons de whisky à l’heure.
  • Le contrôle de la Régie est omniprésent tout au long du processus de fabrication. L’exciseman (« agent de la Régie ») intervient dès le remplissage des cuves de fermentation ; i apprécie, par une série de mesures, la quantité approximative d’alcool susceptible d’être fournie après fermentation.Plus tard, dès sa sortie de l’alambic à wash, le distillat passe dans un coffre à alcool (sprit safe), vitré et doté d’instruments de mesure; les clés de ce coffre, cadenassé, sont détenues par l’agent de la Régie. Et le chef distillateur est contraint d’opérer de l’extérieur, sans avoir jamais accès à l’alcool.
  • Les droits exigibles par la Régie dépendent de la teneur en alcool. Plus le whiskyest fort, plus les droits sont élevés;
  • Il existe des tonneaux de différentes contenances pour le stockage du whisky. Le butt contient 500 litres, le hogshead 250 à 305 litres, le baril américain 173 à 191 litres, le quart 127 à 159 litres et l’octav 45 à 68 litres.

Un bois « trafiqué »

 

Le vieillissement en fûts de bois a, bien évidemment, inspiré certaines fraudes. Ainsi, dans les années 70, les assembleurs de blendes whiskies se rendirent à l’évidence : un quart des whiskies de malt âgés qu’ils utilisaient ne présentaient pas la maturité qu’ils auraient dû afficher au terme de leur temps de maturation. Á quoi attribuer ce phénomène ? Certes pas à la distillation. Mais peut-être au climat, à la détérioration de la couche d’ozone, aux essais nucléaires… ou peut-être encore à la qualité des fûts ? Un expert fut donc chargé d’éclaircir le mystère. Et son enquête, minutieuse et délicate, révéla que des entreprises de tonnellerie, peu scrupuleuses, commercialisaient des fûts repris à des assembleurs (donc des fûts ayant simplement contenu du scotch whisky) comme étant des fûts de bourbon. Elle montra aussi que si ces fûts arrivaient, neufs, des États-Unis, le bois de chêne dont ils étaient faits ne provenait pas uniquement des monts Ozark (Missouri), mais aussi de forêts sises plus à l’est, dans une région dont le climat favorisait la croissance rapide des arbres. Autre constation : le bois était souvent séché artificiellement, au four. D’où une maturation du whisky pour le moins contrariée…

Une fois l’affaire mise au jour, un cahier des charges, publié en 1991, vint imposer aux Américains qu’« au moins un quart des arbres destinés à être utilisés dans la fabrication des fûts » ait subi une croissance lente et que le bois ait été soumis à un séchage à l’air libre « afin d’obtenir une maturation optimale du whisky ».


Un musée du whisky

 

Installé à Édimbourg*, à proximité du château, The Scotch Whisky Heritage Centre offre à ses visiteurs un voyage magique au « pays » du whisky. D’abord, un périple dans l’histoire de l’Écosse, à laquelle est indissociablement liée l’évolution de sa boisson nationale. Puis, une incursion dans les régions productrices et dans l’univers des distilleries. Objets, documents, pesonnages de cire, maquettes, montage audio-visuel, etc. recréent de façon attrayante le passé et le présent de cet alcool aujourd’hui réputé dans le monde entier.

 

* The Scotch Whisky Heritage Centre Ltd., 358 Castelehill, The Royal Mile, Édimbourg EH1 2NE. Tél. 031 220 0441.  Ouvert tous les jours, de 10 fh à 17 h  (horaires plus larges en période estivale). Fermé le jour de Noël et le jour de l'An.


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