AU FIL
D'UNE TURBULENTE HISTOIRE
« Bu avec modération, il (le whisky) ralentit l’âge, il renforce la jeunesse ; il favorise la digestion ; il enraye les rhumes ; il chasse la mélancolie ; il apaise le cœur ; il éclaircit l’esprit ; il accélère les humeurs ; il guérit l’hydropisie ; il soigne la strangurie ; il dissout la pierre ; il repousse la gravelle ; il éloigne la dyspepsie ; il garde et préserve la tête de tourner, l’œil de brûler, la langue de zézeyer, la bouche de snafflyng (?), les dents de branler, la gorge de racler, la trachée de se durcir, l’estomac de se nouer, le cœur de gonfler, le ventre d’enfler, les boyaux de gronder, les mains de trembler, les tendons de se contracter, les veines de se recroqueviller, les os de faire mal, la moelle de fondre…
En vérité, c’est une liqueur souveraine. »
Holinshed
Chroniques d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, 1578
Buveurs de whisky écossais, Willie Brew'd A Peck O'Maut, poème de Robert Burns, 1840.
Sans vouloir essayer ici de percer le mystère des origines de la distillation de l’alcool, que l’on tend à attribuer aux Arabes et dont la pratique visa d’abord à la création d’essences et de parfums, force nous est de reconnaître que l’« eau-de-vie » qui a aujourd’hui nom de whisky est née en Irlande. Certes, les Écossais nient qu’il en fût ainsi. Le whisky ne peut être qu’écossais ! Pourtant, ayant obtenu, par la distillation de la bière, un alcool « thérapeutique », les moines chrétiens d’Égypte l’introduisirent, au cours de la première moitié du Ve siècle, en terre irlandaise, à la faveur de leurs périples missionnaires. Sur ce sol, propice à la culture de l’orge, la distillation connut un essor fulgurant, d’autant que l’« eau-de-vie » produite s’avéra agréable à boire…
Ce n’est que dans un second temps que l’Écosse, autre contrée celtique touchée plus tardivement par l’évangélisation, fut gagnée par cet art distillatoire dans lesquels les moines étaient experts. Un art dont les abbayes devaient longtemps conserver le secret ! Il fallut, en effet, attendre l’an 1494 pour trouver une première mention officielle de cette fabrication : le Scottish Exchequer Roll fait état de huit bills (1) de malt destinées au frère John Cor pour confectionner de laqua vite (2). Autre témoignage : les dix-neuf allusions à la même aqua vite qui figurent dans les comptes de la maison d’Écosse entre 1492 et 1512.
Á cette époque, la consommation de l’alcool répondait plus à une nécessité « thérapeutique » qu’au simple plaisir de la dégustation. La boisson était parée de bien des vertus et si elle avait sa place à la table royale, sans doute était-ce à une quelconque fin médicale ; les boissons d’usage à la cour et chez les nobles étaient alors l’aleet le vin, ce dernier importé de France et d’Espagne. Rien d’étonnant donc à ce que, en 1506, les édiles d’Édimbourg accordassent le monopole de sa distillation à la corporation des barbiers-chirurgiens ; le privilège devait leur être longtemps conservé, la vente de l’eau-de-vie étant assurée par les apothicaires.
Un rude breuvage
Cette réglementation citadine ne devait toutefois pas empêcher l’essor de la distillation rurale. Sur les terres sauvages des Highlands, la culture de l’orge apportait à la population, fort pauvre, ses moyens de subsistance : le pain, avant tout, mais aussi la boisson. Au milieu du XVIe siècle, la plupart des familles fabriquaient leur eau-de-vie. Celle-ci devait, certes, manquer de subtilité et de finesse, mais elle s’accordait avec la rigueur de la vie paysanne. Le parlement écossais ne tarda, d’ailleurs, pas à la considérer comme un produit alimentaire à part entière, de sorte qu’il put ensuite prendre des mesures à son égard. Ainsi, en 1579, la récolte d’orge n’ayant pas été bonne, un décret vint en régir la production : la céréale devait être réservée à la nourriture, sa distillation n’était autorisée que pour les classes supérieures et à leur seul usage. Quoi qu’il en fût, les habitants des Hautes-Terres ne prenaient guère en compte les décisions de la capitale et la distillation allait bon train…
Il n’échappa pas à l’État que pareille tradition pouvait constituer une intéressante source de revenus. Et l’impôt finit par s’abattre sur l’alcool ! En 1644, à l’initiative du roi Charles Ier, une Loi d’Accise instaura une taxe de 2 shillings 8 pence sur « chaque pinte (3) d’aquavit ou autres liqueurs fortes vendues dans le pays. » Il ne fut cependant pas toujours facile de l’appliquer et elle demeura ignorée des coins reculés des Highlands, peu sûrs pour les promeneurs, et moins encore pour les inspecteurs du fisc. Abolie par Oliver Cromwell en 1660, elle ne devait être rétablie qu’en 1693, par le parlement écossais.
C’est à l’occasion de cette nouvelle loi qu’il est fait mention, pour la première fois, d’une distillerie. Celle-ci, du nom de Ferintosh, appartenait à un certain Duncan Forbes, qui, en 1689, avait guerroyé sous la bannière de Guillaume d’Orange ; elle avait été détruite par un incendie pendant l’absence de son propriétaire. Aussi ce dernier vit-il son activité de distillateur exemptée d’impôt — un privilège exceptionnel que la famille Forbes devait conserver jusqu’en 1785.
Gravure, XVIIe siècle
La boisson populaire écossaise
Á l’orée du XVIIIe siècle, encore paré des vertus bénéfiques dont l’avait dotées le corps médical, le whisky avait véritablement pris rang de boisson nationale écossaise et sa consommation était considérable. Tout au long du Siècle des Lumières, le constat des voyageurs de l’époque n’allait guère varier : le whisky était devenu indissociable des usages du pays. Précieux témoin de son temps, l’écrivain écossais Tobias George Smollett remarque que « les habitants des Highlands se régalent de whisky, un alcool de malt aussi fort que le genièvre, qu’ils avalent en grandes quantités, sans toutefois montrer les moindres signes d’ébriété ; il y sont accoutumés depuis le berceau, et y trouvent un excellent préservatif contre le froid de l’hiver, qui doit être extrême dans les montagnes.» « On me dit », ajoute-t-il, « qu’il est administré avec grand succès aux enfants comme cordial et dans le cas de variole.»
En fait, il n’était de fête qui ne fût prétexte à en boire. Du whisky était même servi à l’occasion des enterrements ; ainsi, dans son roman L’Expédition d’Humphry Clicher (1771), qu’il écrivit en Italie, le même Smollett évoque-t-il cette coutume de faire bombance et d’absorber une généreuse quantité de whisky à l’occasion de funérailles.
Si les Lowlands (« Basses-Terres ») avaient été peu à peu gagnées au whisky, il apparaît à travers ces relations que l’alcool demeurait plus répandu dans les Highlands et dans les îles. Lors de son Voyage dans les îles occidentales d’Écosse (1775), Samuel Johnson note que, au sein d’une nourriture plutôt pauvre, d’où le vin est exclus, et le lait parfois absent, le whisky est la boisson de l’hospitalité. Pauvres ou riches, les habitants de ces terres isolées en offrent à leurs visiteurs. Il n’est d’auberge qui n’en serve. « Un homme des Hébrides, aussitôt levé, avale un verre de whisky. », écrit-il. Et de préciser : « Pourtant l’ivrognerie est rare. En tout cas, je n’ai jamais été témoin d’une grande intempérance. Mais personne n’est assez abstinent pour refuser la lampée du matin qu’ils appellent un skalk. Du régime des femmes, je ne puis rien dire. »
Buveurs de whisky écossais, Willie Brew'd A Peck O'Maut, poème de Robert Burns, 1840.
Il ressort aujourd’hui de tout cela que si les Écossais étaient de gros buveurs, ils savaient aussi se limiter. Pourtant, bien des écrits du XVIIIe siècle traduisent la grande préoccupation du temps : le whisky constituait-il un danger social ? Ne valait-il pas mieux réserver l’orge employée à sa fabrication pour l’alimentation familiale ? Ou, au contraire, le whisky pouvait-il jouer un rôle dans l’économie locale ? L’importance croissante de la distillation au sein de la vie des Écossais et les turbulences attachées à l’évolution de cette activité apportèrent, d’elles-mêmes, une réponse à cette polémique.
Gravure, XVIIIe siècle.
La « guerre du whisky »
Après l’Acte d’union des parlements, d’Écosse et d’Angletere — voté en 1707 —, un certain nombre de dissonances économiques se firent jour. Et le whisky n’y échappa pas… Une industrie de la distillation du gin s’était développée en Angleterre, principalement à Londres, à Liverpool et à Bristol. Les distillateurs anglais n’acceptèrent pas de subir une taxe plus élevée que celle appliquée jusque là aux distillateurs écossais. Pour vif qu’il fut, leur mouvement de protestation n’obtint pas immédiatement satisfaction. Le Bureau des Accises, mis en place en 1707, attendit plusieurs années avant d’iimposer aux distillateurs écossais une taxe équivalente. Un corps de contrôleurs (excisemen) fut alors chargé de surveiller la production et la vente d’alcool, ainsi que de procéder au recouvrement de l’impôt.
Cette mesure fut évidemment très impopulaire en Écosse, à la fois par ce qu’elle renforçait l’emprise fiscale sur le whisky et, peut-être plus encore, parce qu’elle émanait de la puissance étrangère d’occupation, qui ne parlait pas la même langue, ni ne pratiquait la même religion. Des troubles éclatèrent dans les grandes cités, à Édimbourg et à Glasgow. Le gouvernement anglais dut envoyer des troupes en Écosse pour y mettre bon ordre. Si le calme fut rétabli, dès lors un conflit latent s’installa, qui devait durer plus d’un siècle et qui, parfois, explosa en des heurts violents.
De fait, la distillation clandestine de whisky avait pris de l’extension dans les Highlands. Chaque paysan — ou presque — possédait son alambic, qu’il dissimulait en un lieu secret, au sein de cette montagne qu’il connaissait si bien. En ville, la fabrication se faisait, non moins discrètement, dans les caves ou dans édifices désaffectés. Compte tenu de l’animosité de la population à l’égard des agents de la Régie, il était quasiment impossible de surprendre un distillateur en flagrant délit ; l’arrivée d’un contrôleur était aussitôt signalée.
En 1746, l’âpre bataille qui se déroula dans les landes de Culloden, près d’Inverness, mit fin à la résistance jacobite — le prince Charles-Édouard avait tenté de recouvrer le trône, avec l’aide des highlanders. Les montagnards écossais payèrent douloureusement le prix de leur défaîte : les clans furent démantelés, le port du kilt interdit, l’usage du gaélique prohibé, et… la vigilance officielle à l’encontre de la distillation renforcée. Pourtant, rien ne changea vraiment en matière de production de whisky. Il demeurait difficile de contrôler tous les alambics, dont le nombre ne cessait d’augmenter. Tout fut essayé pour remédier à cet état : on organisa de véritables expéditions pour mettre au jour les fraudeurs, on encouragea la dénonciation par l’octroi de récompenses, on interdit l’emploi d’alambics d’une capacité inférieure à 2 250 litres, … Vainement. En 1777 furent dénombrés quatre-cents alambics illégaux dans la seule ville d’Édimbourg, contre huit alambics déclarés. Cette proportion valait pour l’ensemble du territoire écossais !
Désormais contraintes de s’ouvrir au reste du pays, les Highlands «exportaient» partie de leur production vers les Lowlands, et même au-delà, vers la capitale anglaise. Car les Londoniens commençaient à s’intéresser à cette boisson dont on disait alors qu’elle avait la propriété de rendre un Écossais heureux. Le commerce du whisky se pratiquait dans la plus stricte illégalité. Pour éviter de régler les lourds droits à l’exportation, en vigueur depuis 1751, les distillateurs clandestins s’étaient transformés en contrebandiers. La plupart d’entre eux étaient d’anciens Jacobites et avaient combattu contre les Anglais. Rusés et bien organisés, ils étaient soutenus par la population écossaise, qui les considérait comme de véritables héros. Tant au nord qu’au sud, le whisky traditionnel, ancêtre des malts d’aujourd’hui, était devenu, en quelque sorte l’emblème d’un patriotisme inextinguible.
La fabrication du whisky n’était, en fait, plus l’apanage des vallées des Hautes-Terres, comme par le passé. Les lowlanders étaient devenus d’habiles distillateurs. Quelques uns d’entre eux s’étaient soumis à l’impôt, mais leur whisky n’était pas de la meilleure qualité dans la mesure où, souvent, ils réduisaient la quantité d’orge maltée, au profit de céréales non maltées (blé, etc.),pour payer une moindre taxe sur cette matière première. Néanmoins, le Wash Act de 1784, qui instaura de nouveaux barêmes pour la licence, joua en leur faveur, tout en aggravant la situation des petits distillateurs des Highlands, et les grandes entreprises licites desLowlands accrurent leurs expéditions vers Londres. Les distillateurs de gin de la capitale en prirent ombrage et œuvrèrent pour que les spiritueux écossais soient davantage taxés. Un souhait qui, d’ailleurs, rejoignait le souci du gouvernement d’éradiquer enfin la distillation clandestine. Ainsi, en 1786, une loi vint-elle aligner les taxes pratiquées en Écosse sur celles en usage en Angleterre. Ce nouveau texte, qui défavorisait plus encore les Highlands, ne fit qu’inciter les fabricants illégaux à persévérer dans cette voie. Dès lors, les vingt années qui suivirent furent marquées par des hausses successives de l’impôt. Rien n’y fit. Les producteurs écossais n’entendaient pas céder à cette pression anglaise. Et s’ils réussirent à survivre, c’est en grande partie grâce à leur longue expérience et à leur mode de distillation. Comme l’explique Louis Figuier, dans Les Merveilles de l’Industrie, à la fin du XIXe siècle, «Par l’emploi d’alambics à large surface et de peu de profondeur, les distillateurs écossais parvinrent à faire d’abord cinq ou six charges de chaudières en vingt-quatre heures. Pour lutter contre les distillateurs anglais, et les droits établis en leur faveur, les distillateurs écossais arrivèrent, en 1790, à faire vingt opérations dans le même temps. En 1796, ils pouvaient faire trois charges par heure, et en 1799, le distillateur Millar, grâce à un puissant appareil, distillait quatre-cent quatre-vingts charges en vingt-quatre heures.»
Un excise officer pendant la whisky rebellion, 1794, gravure du XIXe siècle.
Sur le chemin de la légalité
Au début du XIXe siècle, la moitié du whisky commercialisé provenait de petites entreprises illicites ; s’il était d’un coût relativement bas, sa qualité souffrait des conditions de sa fabrication et des difficultés à le faire vieillir correctement. La consommation annuelle d’alcool pur per capita était alors de deux litres en Angleterre et de neuf litres en Écosse. Les Écossais demeuraient les plus gros buveurs de whisky ; la majeure partie du whisky était consommée localement. En 1820, seulement cinq distilleries, sur les cent-quatorze légales recensées, exportaient en Angleterre. Le whisky y conservait son image de boisson rude, tel le pays qui le produisait. Il était plus noble de boire du cognac, du rhum, du porto ou du vin. La faveur des classes laborieuses allait au gin et à la bière.
Fabrication de whisky clandestine dans les Highlands, 1848.
Le délicat problème de la distillation en Écosse n’avait guère trouvé sa solution. D’une part, dans le cadre d’une économie durement affectée par le Blocus Continental, le gouvernement anglais tenait à préserver les stocks de céréales destinées à l’alimentation — c’est ce qui justifia la loi de 1814, interdisant les alambics de moins de 500 gallons (4). D’autre part, il n’avait pas renoncé à lutter contre la distillation clandestine. La guerre du whisky n’était pas éteinte. Et le serait-elle un jour ? Entre contrôleurs de la Régie et fraudeurs, la guérilla se poursuivait sans concession. Il est intéressant de noter qu’en 1820, le nombre de fabriques illicites fut évalué à plus de quatorze mille — un chiffre sans doute bien en dessous de la réalité —, et qu’en 1823, trois mille alambics illégaux furent recensés dans la seule région d’Elgin. Certains des whiskies produits illicitement avaient même acquis quelque notoriété. Le plus réputé d’entre eux, peut-être même le plus réputé d’Écosse, était celui distillé à Drumin, dans la vallée de la Livet, par George Smith ; les hauts personnages des Highlands l’appréciaient fort et le roi George IV, qui, en 1822, se rendit en visite officielle à Édimbourg et demanda qu’il lui en fût servi au palais de Holyroodhouse, ne fut pas indifférent à son exceptionnelle saveur.
Ce voyage permit au souverain de prendre la mesure de la situation et de constater qu’il fallait alléger les taxes pour permettre à l’« industrie » du whisky de sortir de l’impasse ; un impôt trop lourd n’avait pour résultat que de nuire au bon fonctionnement des distilleries légales et de renforcer la clandestinité plutôt que de l’anéantir. Il trouva un appui en la personne du duc de Gordon, le plus important propriétaire terrien d’Écosse (5), qui souleva le problème à la chambre des Lords. Il fallait agir d’autant plus vite que l’Illicit Distillation Act, promulgué en Écosse en 1822 et destiné à réprimer plus sévèrement laclandestinité, risquait de générer une véritable révolte. Ainsi fut voté, l’année suivante, l’Excise Act, une loi plus libérale qui devait permettre à la distillation légale du whisky de devenir rentable. Désormais ne furent autorisés que les alambics d’une capacité supérieure à quarante gallons. Le coût de la licence annuelle passa de quinze livres à dix. Quant à la taxe sur chaque gallon d’alcool pur produit, elle était fixée à deux shillings et trois pence. Ces mesures firent l’unanimité parmi les distillateurs licites et incitèrent un certain nombre de producteurs clandestins à solliciter la licence. La bataille n’était cependant pas gagnée ! Et les irréductibles firent même montre de violence à l’égard de ceux qui avaient accepté de « pactiser avec les Anglais ».
Parmi les premiers à être considérés comme des traitres : le même George Smith que nous avons précédemment évoqué. Le duc de Gordon s’était engagé à convaincre ses locataires distillateurs illicites de prendre une licence ; l’un d’eux, George Smith, le fit aussitôt, créant, en 1824, une distillerie près de la rivière Spey : The Glenlivet. En fondant la première fabrique légale de la région, il inaugura une nouvelle époque de la distillation du whisky. De nombreuses autres distilleries légales s’installèrent dans les Highlands. La loi fut une réussite… Entre 1827 et 1837, la production de whisky de malt passa de 2,7 à 6 millions de gallons. Et les années 1850 virent la disparition des derniers alambics clandestins.
L’ère de la technologie
L’intérêt des distillateurs put dès lors se concentrer sur la qualité du whisky et sur la manière de la rendre optimale. Á l’étranger, on s’interrogeait déjà beaucoup sur la supériorité de la méthode écossaise. Les Annales des Arts et Manufactures, publiées par O. Reilly, en 1800, avaient donné une description des alambics inventés en Écosse, avec lesquels on faisait soixante-douze chauffes en vingt-quatre heures. « On conçoit […] la possibilité de ces résultats, lorsqu’on sait qu’en Écosse on ne fabriquait que de l’eau-de-vie de grains ; que la matière qui donnait l’eau-de-vie, épaisse et pâteuse, était mise en une couche très-mince dans la chaudière, et qu’un tel produit était bientôt distillé. », avait expliqué Louis Figuier, qui prétendait, d’autre part, que les Écossais n’avaient rien apporté de nouveau en matière de machines, que les alambics écossais n’étaient guère différents de ceux des brûleurs du bas Languedoc et que la seule différence résidait dans l’aspect gigantesque des systèmes de distillation. Mais, à l’instar de la majeure partie des Français, il n’avait qu’une vague notion de ce qu’était le whisky. Ne le définit-il pas comme « le produit de la fermentation de l’avoine ou de la drèche(malt de bière épuisé par le brassage) » ? Selon lui, l’eau-de-vie devait sa force à la grande proportion d’alcool que renfermait le grain fermenté.
Loin de ces supputations, les recherches de certains distillateurs britanniques devaient, au cours de la première moitié du XIXe siècle, apporter des modifications notables au processus de fabrication du whisky. Dès 1826, un distillateur écossais de Kibalgie, dans les Lowlands, Robert Stein, inventa le premier alambic à distillation continue (continuous patent-stil). Après un essai expérimental dans une distillerie de Wandsworth, il installa, en 1827, le premier alambic dans la distillerie de son frère, à Kirkliston, près d’Édimbourg. Un an plus tard, son cousin, John Haig, équipa sa distillerie de Cameron Bridge, à Fife, avec le même appareil.
Un autre inventeur effectuait aussi des travaux sur la distillation en continu pour la fabrication du whisky de grain. En effet, en 1830, Aeneas Coffey, ancien inspecteur général de la Régie, à Dublin, mit au point son alambicen Irlande, mais son invention n’ayant pas suscité le moindre intérêt chez les Irlandais, il s’exila en Grande-Bretagne, où il déposa un brevet l’année suivante. Les distillateurs ne furent pas longs à comprendre la supériorité de cette invention sur celle de Stein. De conception plus simple, l’alambic de Coffey permettait une production moins coûteuse et plus rapide (200 gallons d’alcool pur à l’heure). Son implantation ne fut toutefois pas immédiate. En 1837, année de l’accession au trône de la reine Victoria, seulement deux millions de gallons sur les neuf produits, furent fabriqués avec l’appareil de Coffey. Il fallut attendre 1839 pour que la Régie agrée cette nouvelle machine à distiller et les années 1870 pour que l’appareil fût plus largement adoptéet donnât, de ce fait, un élan considérable à cet alcool de grain, qu’on devait appeler plus tard « whisky de grain » (patent-still whisky, ou grain whisky).
Si l’alambic de Coffey intéressa les entreprises des Lowlands, les distillateurs des Highlands, attachés à leur séculaire production de whisky de malt, continuèrent de travailler avec le traditionnel alambic à feu nu (pot-still).
La révolution de l’assemblage
Au milieu du XIXe siècle, le whisky écossais, de grain ou de malt, était encore un alcool de qualité variable, d’une année à l’autre. Chaque distillerie commercialisait sa propre production. Mais déjà la profession commençait de s’organiser. En 1848, les distillateurs des Lowlands décidèrent de s’unir pour mieux faire face à une politique souvent discriminatoire — ainsi une mesureautorisait-elle les Anglais à employerpresque tous les légumes pour distiller, alors que les Écossais étaient tenus de se limiter aux céréales. Et en 1856, six gros distillateurs d’alcool de grain des Basses-Terres créèrent un consortium chargé de contrôler la production et de répartir équitablement le marché entre eux. Cet accord préfigurait les regroupements ultérieurs.
Mais la véritable révolution était à venir… Déjà, en 1853, une loi accorda aux distillateurs le droit de mélanger, au sein de leur firme, des whiskies de malt d’années différentes. Une autre loi devait, en 1860, leur permettre de marier des whiskies de malt provenant de différentes distilleries. Il ne restait plus qu’à assembler alcool de grain et whisky de malt. On s’accorde à en attribuer l’idée à un certain Andrew Usher, jeune négociantd’Édimbourg, agent de la firme The Glenlivet, qui, en 1853, découvrit qu’en associant l’alcool de grain à du whisky de malt, on obtenait un produit plus riche en goût que l’alcool de grain seul. Dans un premier temps, le produit obtenu n’eut pas droit à l’appellation whisky. Ce n’est que plus tard qu’il fut surnommé « whisky d’assemblage » (blended whisky).
Facile et peu coûteux, ce procédé ouvrit de nouveaux horizons aux distillateurs des Lowlands, qui, d’emblée, le mirent en pratique et rencontrèrent un succès considérable auprès de la clientèle écossaise. Dans les années 1860, la production d’alcool de grain prit donc le pas sur celle de whisky de malt. Peu à peu la nouveauté franchit les « frontières ». Son rôle dans l’implantation du whisky en Grande-Bretagne fut essentiel. Sans prendre en compte les réelles qualités du whisky — que les « étrangers » finirent par découvrir —, il est vrai qu’un certain nombre de facteurs jouèrent en sa faveur. Le plus important fut indubitablement l’épidémie de phylloxéra qui, à partir de 1870, ravagea les vignobles français, et notamment la région productrice de cognac ; les restrictions imposées à l’exportation amenèrent les Anglais à se tourner vers le whisky. Certes, les Écossais n’étaient pas les seuls producteurs de whisky, les Irlandais avaient également perçu l’intérêt de ce marché généré par la rareté du cognac. Et la lutte fut impitoyable. Mais une campagne publicitaire habilement conçue, la politique astucieuse menée par les capitaines d’industrie que furent, par exemple, James Buchananet JohnWalker, qui ouvrirent des bureauxà Londres, … de furent là autant d’éléments qui permirent aux Écossais de l’emporter. En 1880, ceux-ci vendaient 1,8 millions de gallons de whisky en Angleterre, et les Irlandais, à peine moins, avec 1,6 millions. Vingt ans plus tard, le fossé s’était creusé : leurs ventes s’élevaient à 7,1 millions, contre 4,2 millions pour les Irlandais.
Un autre facteur non négligeable est intervenu dans ce succès, que l’on ne saurait omettre de mentionner : la vogue de l’Écosse traditionnelle, romantique, qu’avaient lancée les romans de Walter Scottet qu’allait prolongée, à travers le monde, l’armée des Highlanders. La reine Victoria participa largement à cette mode en se faisant construire le château de Balmoral, dans un paysage d’une austérité toute écossaise, près de Braemar, et en choisissant l’Écosse comme lieu de villégiature. Enfin, la contribution du futur Édouard VII, fut, affirme-t-on, aussi d’une grande influence sur le succès du whisky auprès des Anglais. En 1901, lors d’une chasse à Balmoral, pour se rafraîchir, il but à la gourde de son garde-chasse écossais, qui contenait du whisky, et il apprécia tant cette boisson qu’il ignorait que, soucieux de prendre modèle sur le prince de Galles, les gentlemen anglais se mirent à en boire dans leurs clubs.
Une industrie structurée
Á la fin du XIXe siècle, les distillateurs écossais, quel que fût leur type de production, constituaient une vaste famille, très unie, soucieuse d’imposer l’image d’un whisky de qualité. Convaincus que l’avenir était au whisky d’assemblage, à la fois plus populaire et bien moins cher que le whisky de malt, certains avaient profité de ce nouveau créneau pour développerd’énormes entreprises, sur lesquelles ils exerçaient un pouvoir à caractère paternaliste, à l’instar de beaucoup de grands industriels de l’époque. Du côté du whisky de malt s’était créé, en 1874, l’Association des Distillateurs de Malt du Nord de l’Écosse.
Toutefois, l’évènement le plus important avait été la formation de The Distillers Company Limited (D.C.L.), par suite du regroupement, en 1877, de six distillateurs de grain des Lowlands. Cette compagnie devait vite prendre de l’extension. Par l’acquisition de nombreuses distilleries de malt et de grain, mais aussi par sa volonté d’étendre le marché du whiskypar delà les frontières, dans les pays de l’empire britannique et aux État-Unis notamment, elle a écrit une page importante de l’histoire du whisky écossais.
Mais une confusion subsistait encore dans le monde de la distillation… L’assemblage d’alcool de grain et de whisky de malt n’avait pas reçu d’appellation. Certains producteurs lui donnaient timidement le nom de whisky. La situation resta floue jusqu’en 1905, lorsque le problème fut porté devant la Justice. En effet, certains propriétaires d’établissements situés à Irlington (Londres) furent condamnés pour avoir vendu un tel produit comme étant du whisky. Au terme de quatre années de procès, le 28 juillet 1909, la Commission Royale décida que tout alcool obtenu par fermentation et distillation de céréales pouvait être dénommé whisky. Le blendes whisky existait officiellement…
Pour sa part, le whisky « pur malt » maintenant sa production, face à la toute puissance des distillateurs des Lowlands.De nombreuses petites firmes se partageaient encore ce secteur, presque toutes établies de longue date dans les Highlands, notamment aux abords de la rivière Spey. Mais les îles au large de la côte occidentale — Islay, notamment — abritaient également quelques entreprises. Tout comme la ville de Campeltown qui, à elle seule, avec ses alentours, en comptait plus de trente à la fin du XIXe siècle et, de ce fait, avait pris rang de capitale du whisky de malt. Tout comme, enfin, la zone des Lowlands immédiatement au sud de la frontière fictive séparant cette partie de l’Écosse des Highlands.
Crises et restrictions
Comme tout le secteur de l’agro-alimentaire, le whisky fut durement atteint par la Grande Guerre. L’approvisionnement en céréales étant devenu difficile, sa production dut être réglementée. Lloyd George n’était guère favorable à la consommation d’alcool. La mise en vente d’un produit à bas prix — et donc n’ayant pas assez vieilli — lui semblait être un danger pour les travailleurs. La menace d’une politique prohibitionniste créa un grave climat d’inquiétude chez les distillateurs. Mais on parvint à une solution quelque peu moins intolérante. La distillation devait désormais répondre à des besoins industriels ou militaires, et selon des quantités strictement fixées par le gouvernement. Ainsi The Distillers Company Limited se vit chargée de fabriquer de l’acétone, de l’alcool industriel et de la levure.Les entreprises les plus touchées par ces mesures visant à la fabrication d’alcool utile furent celles qui, dans les Highlands, distillaient le whiskyde malt. Leur production fut interrompue pendant deux ans. Certaines distilleries ne purent réouvrir leurs portes au terme de ce délai, d’autres eurent du mal à survivre…
Le seul aspect positif de ces temps difficiles fut la prise de conscience — « grâce à » l’acharnement des partisans de la prohibition — de la nécessité d’améliorer le produitpar un délai de maturation obligatoire. En 1915, l’Immature Spirits Act fixa le vieillissement en fûts à au moins deux ans. L’année suivante, il fut élevé à trois ans; c’est, d’ailleurs, cette durée qui est encore en vigueuraujourd’hui. Inévitablement, cette réglementation ruina certaines entreprises spécialisées dans l’assemblage, qui ne purent supporter financièrement une telle attente. Inévitablement aussi, elle entraîna une hausse du prix du spiritueux. En revanche, elle contribua à la qualité du Scotch Whisky et à son aura de supériorité.
Au lendemain de la guerre de 1914-1918, l’industrie reprit son activité. Il fallut reconstituer les stocks. Soumis à une augmentation considérable du droit d’accise, les distillateurs connurent une période difficile. Á cette contribution au redressement du pays vinrent s’ajouter les effets des lois prohibitives aux États-Unis. Des années 20 jusqu’à la fin de la Prohibition, en 1932, les producteurs de whisky écossais virent leur plus gros marché potentiel menacé. Et c’est une véritable guerre qu’ils menèrent pour que celui-ci ne leur échappât pas! Dans un premier temps, ils « assiégèrent » les États-Unis en installant leurs représentants au Canada, à Cuba, dans le Honduras britannique, dans les colonies britanniques des Caraïbes, aux Bahamas, dans les territoires français de Saint-Pierre-et-Miquelon…, puis en expédiant en toute légalité d’importantes quantités de whisky à ces agents établis à l’étranger. De là, l’alcool étaitconvoyé par bateauau large des côtes de New York et du NewJerseyet restait hors des eaux territoriales, jusqu’à ce que des contrebandiersviennent en prendre livraison. Sans compter que certains navires, en attente dans cette zone, étaient directement affrétés en Écosse. Inévitablement, de nombreux affrontements eurent lieu entre des bâtiments de la marine américaine, les garde-côtes et les contrebandiers. Aussi, en 1924, un accord (Liquor Treaty) intervintentre les gouvernements du Royaume-Uni et des États-Unis, les relations des deux pays ayant été quelque peu affectées par la situation. Les Britanniques s’engagèrent à enrayercette activité. Mais il était difficile d’intervenir, cela se passait dans les eaux internationales…
Des millions de gallons de Scotch Whisky pénétrèrent ainsi aux États-Unis. Les chiffres des importations de whisky dans les « entrepôts » des Bahamas (944 gallons en 1918 et 386 000 gallons en 1922), par exemple, sont parlants ! Á New York, Philadelphie, Boston,… on put boire ce spiritueux, d’un prix élevé certes, compte tenu des difficultés d’approvisionnement. C’est la raison pour laquelle on importait surtout des whiskies lourds susceptibles d’être allongés avec de l’eau sans pour autant perdre trop de leur goût. De là le goût des Américains pour le whisky plutôt léger.
Cette politique forcée des Écossais aida à la diffusion de leur distillat aux États-Unis et dans le reste du monde. La position du Scotch Whisky se consolida dans les années 1930, période au cours de laquelle la firme canadienne Hiram Walker s’implanta en Écosse, par l’achat de plusieurs distilleries de malt. La profession semblait prendre un réel essor… lorsqu’éclata la Seconde Guerre mondiale.Et avec elle recommença le temps des restrictions. Dès 1939, les stocks d’orge furent réquisitionnés pour l’almentation. La distillation fut d’abord restreinte en 1940, puis interrompue entre 1941 et 1945. Néanmoins, le whisky restait l’unique produit alimentaire autorisé à l’exportation, en grande partie vers les États-Unis — cela en échange de vivres et de munitions. Par ailleurs, seloncertains, c’est au cours de la guerreque le whisky se fit connaître auprès des armées alliées, qui devaient en rapporterle goût dans leurs pays respectifs.
Le whisky d’aujourd’hui
En 1945, les stocks ne s’élevaient plus qu’à 120 millions de bouteilles. Bien que grand buveur de cognac, Winston Churchill reconnut que le whisky avait un rôle à jouer dans le commerce britannique. Seuls, les distillateurs de whisky de malt, susceptibles d’importer des dollars, furent d’abord autorisés à reprendre la fabrication, mais celle-ci était strictement limitée. En 1948, il fut décidé de n’accorder des licences qu’aux entreprises exportatrices. Il fallut attendre 1949 pour que toutes les restrictions fussent abolies. Et dix années furent ensuite nécessaires pour reconstituer les stocks et permettre aux producteurs de répondre à la demande.
L’importance accordée aux exportations donna des résultats des plus satisfaisants : 15,9 millions de gallons en 1946, 16,4 millions dix ans plus tard, 41,5 millions en 1966, 91,8 millions en 1976,… Le whisky allait rapidement devenir le premier alcool consommé dans le monde. Á la veille de la guerre, il faisait l’objet d’une consommation essentiellement intérieure. Après la guerre, les Américains en buvaient deux fois plus que les Britanniques. Et ce rapport continua de s’accroître.
Toutefois, parallèlementà ce succès international du Scotch Whisky, le droit d’accise a accusé une augmentation constante, au fil des gouvernements successifs. Après les épreuves de la période de guerre, cette hausse, devenue insoutenable pour bien des firmes, contribua au phénomène de concentration qui marqua l’évolution de l’industrie du whisky à partir des années 1970. L’implantation de groupes étrangers s’accusa. Des distilleries furent rachetées, certaines autres durent fermer.
Au début des années 1980, la récession économique mondiale toucha aussi le whisky. Jusque là, la production avait repris de façon remarquable. Mais les ventes chutèrent soudain et les distillateurs se retrouvèrent avec des stocks énormes. De nombreuses entreprises ne résistèrent pas à ce nouveau coup et arrêtèrent leur activité. D’aucuns attribuèrent cette mévente à la mode, auprès de la jeune génération, des alcools blancs (rhum, gin, vodka). qui peuvent se boire en cocktails.
Aujourd’hui, en dépit d’une remontée remarquable, le Scotch Whisky continue desouffrird’une taxation très importante, équivalente certes à celle qui frappe les autres spiritueux, mais bien plus élevée que celle appliquée à la plupart des boissons concurrentes — les vins importés (xérès, porto, vins mousseux),et la bière, entre autres.Ce qui crée une situation assez paradoxale. Sur une bouteille de whisky d’un prix peu élevé, la taxe peut dépasser 75 %. En outre, une bouteille de whisky est moins chère à la vente en Espagne, en Grèce, en Allemagne ou en France, par exemple, qu’au Royaume-Uni.
Pourtant, le Scotch Whisky occupe une place importante dans l’économie nationale : cette industrie emploie environ 14 000 personnes — principalement en milieu rural — ; plus de 85 % de la production sont exportés dans le monde entier ; le montant des exportations s’est élevé à presque 2,2 billions de livres en 1994, ; les ventes au sein de la Communauté Européenne (Royaume-Uni exclus) atteignent quelque 823 millions de livres. Une telle réussite s’est hélas ! faite au détriment de l’authenticité de cette industrie spécifiquement écossaise, puisque 90 % des distilleries sont entre les mains de sociétés non écossaises et que l’essentiel de la gestion se fait hors d’Écosse.
1902.
Au secret des mots
- Le premier terme utilisé pour désigner la boisson fut uisge beatha, qui, en gaélique, signifiait « eau de vie ». Par déformation, il évolua peu à peu vers uisquebaugh, puis uiskie, et enfin donna le mot whisky, que nous connaissons. Dans les textes anciens apparaissent souvent l’expression aqua vitæ ou le mot aquavite; sans doute s’agit-il déjà du whisky alors distillé dans les Highlands.
La première mention du mot uiskie remonte au début du XVIIe siècle, vers 1618, et figure dans l’état des frais des funérailles d’un seigneur écossais.
- On trouve les deux orthographes whisky et whiskey. Cependant, pour éviter toute confusion, on préfère réserver la seconde au whiskey irlandais et au whiskey Bourbon.
- Pout dhu était le nom autrefois donné à l’alambic clandestin. En Anglais, on disait : black pot.
- C’est par le terme de sassenachs que les Écossais désignaient autrefois les Anglais.
- En argot écossais, le whisky est surnommé the crater (« le cratère »), the auld kirk (« la vieille église ») ou, le plus souvent, John Barleycorn (« Jean Graindorge »).
- Aux États-Unis, le whisky écossais est désigné, en argot, par l’expression bard stuff (« le truc du barde »).
Le célèbre poète écossais Robert Burns (1759-1796) fut l’un des plus ardents défenseurs du whisky. Il en est même devenu le chantre à travers ses écrits. S’il fut lui-même contrôleur de la Régie, il n’en sut pas moins rester critique face à ce métier, ainsi que l’atteste son poème The De’il’s awa wi the Exciseman.
Savez-vous que…
- John Dewar, qui, en 1846, débuta sa carrière comme marchand de vins et spiritueux à Perth, fut le premier à mettre le whisky en bouteilles. Il est intéressant de noter qu’au milieu du XIXe siècle, il était interdit d’exporter en Angleterre des fûts de whisky d’une contenance inférieure à quatre-vingts gallons, ce qui limitait considérablement les débouchés. Il fallut, en fait, attendre 1860 pour que les distillateurs écossais fussent autorisés à embouteiller leur propre whisky pour l’expédier en Angleterre.
- La Whisky Association, créée en 1917, a cédé place, en 1942, à The Scotch Whisky Association, dont le siège est à Édimbourg.
- En 1926, The Pot-Still Malt Distillers Association of Scotland a remplacé The North of Scotland Malt Distillers Association, fondée dans les années 1870. En 1972, la dénomination de cette association est devenue : The Malt Distillers Association of Scotland.
Le « scotch » à l'écran
Réalisé en 1948, par le cinéaste Alexander Mackendrick, Whisky Galore (« Whisky à gogo ») est tiré d'un roman (1947) de son compatriote écossais Compton O. Mackenzie, qui, d'ailleurs, en assura le scénario avec A. M. McPhall. L'histoire, inspirée par un fait réel et traitée avec un humour bien britannique, se déroule dans une île écossaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Le manque de whisky s'y fait vivement ressentir… jusqu'à ce qu'un navire fasse naufrage près du rivage, avec son importante cargaison de bouteilles destinée aux États-Unis. De quoi étancher la soif des insulaires ! Mais aussi de quoi leur permettre d'adresser un clin d'œil narquois à l'encontre des Anglais !
Quelques dates
de l’évolution d’un géant du whisky
- 1877 : création de The Distillers Company Limited (D.C.L.). La compagnie regroupe les distillateurs suivants : D. MacFarlane & Co (Port Dundas Distillery, Glasgow), John Bald & Co (Carsebridge Distillery, Alloa), John Haig & Co (Cameronbridge Distillery, Fife), MacNab Bros & Co (Glenochil Distillery, Menstrie), Robert Mowbray (Cambus Distillery, Alloa) et Stewart & Co (Kirkliston Distillery, West Lothian).
- 1880 : la D.C.L. est côtée au Scottish Stock Exchange
- 1886 : elle est côtée au London Stock Exchange.
- 1914 : une filiale est créée, sous la dénomination de Scottish Malt Distillers. Elle a pour tâche de gérer les affaires de distilleries de whisky de malt achetées par le groupe.
- 1925 : Buchanan-Dewars et John Walker rejoignent la compagnie.
- 1927 : la compagnie absorbe White Horse Distillers.
- Au début des années 1930, la D.C.L. contrôle 33 distilleries dans les Highlands, 5 à Campeltown et 5 dans l’île d’Islay.
- 1937 : elle reprend William Sanderson & Son.
- 1983 : le groupe ferme onze de ses quarante-cinq distilleries, parmi lesquelles Banff, Benromach, Brora, Dallas Dhu, Glen Albyn, Glenlochy, Glen Mohr, Knockdhu, North Port, Port Ellen et St Magdalene.
- 1984--1985 : le groupe, qui couvre 36 % du marché, annonce de nouvelles restructuratiions et des licenciements.
- 1987 : Guinness prend le contrôle du groupe, dont le siège est transféré à Londres.
• 1988 : le groupe fusionne avec Arthur Bell & Sons et est rebaptisé United Distillers.plc.
En termes légaux
Une première fois défini en droit britannique en 1909, le Scotch Whisky reçut une nouvelle définition légale par la Loi de Finances de 1969. Aujourd’hui, il ressort de la loi de 1988, en vigueur depuis juin 1990 et qui interdit la fabrication en Écosse d’un whisky autre que le Scotch Whisky. Désormais porte l’appellation Scotch Whisky un whisky :
- produit dans une distillerie en Écosse, à partir d’eau et d’orge maltée. Si d’autres céréales sont ajoutées à l’orge, ce doit être sous la forme de grains entiers. Le tout doit être transformé en moût, converti en un substrat fermentescible en ne recourant qu’à des systèmes enzymatiques endogènes et fermenté uniquement par l’addition de levure ;
- distillé à un degré alcoolique par volume inférieur à 94,8 %, afin que le distillat conserve un arôme et un goût qui soient dérivés des matières premières et des méthodes qui interviennent dans sa fabrication ;
- ayant subi un vieillissement dans un entrepôt sous accises en Écosse, dans des fûts de bois d’une contenance inférieure à 700 litres, la durée de ce vieillissement ne devant pas être de moins de trois ans ;
- qui conserve la couleur, l’arôme et le goût dérivés des matières premières utilisées dans sa fabrication et de la méthode qui intervient dans la fabrication et la maturation ;
- auquel il n’a pas été ajouté d’autre substance que de l’eau et de l’essence de caramel.
En outre, cette loi, en accord avec la législation communautaire, précise que tout Scotch Whisky, mis en bouteilles et/ou mis en vente à l’intérieur de la Communauté, ou exporté à partir de celle-ci, doit afficher un degré alcoolique minimal de 40 % par volume.
Il faut savoir, enfin, que sur l’étiquette d’une bouteille de whisky doivent figurer le volume du contenu (70 cl pour la bouteille normale, 35 cl pour la demi-bouteille ou 5 cl pour la mignonnette), le degré alcoolique, ainsi que le nom et l’adresse de la firme qui a mis le whisky en bouteilles.